D'UN NOUVEL ORPHISME

 

 

Quand la lumière prend racine à Gowanus

Puis, dérive au large d'océans inconnus...

 

 

Guillaume Paturel vit à New York. Son atelier se situe à Gowanus, dans un quartier industriel historique de Brooklyn. Le long du canal, des squelettes de fer gisent dans l'eau, des accumulations calderiennes de déchets ponctuent le paysage, le modifiant sans cesse. L'étude de plans pour son travail d'architecte et l'observation quotidienne du ballet des grues le marquent profondément et orientent sa démarche artistique.

 

Depuis le lointain du silence, la matière sourd, se déploie puis s'organise. Frémissements vibratoires. Nous distinguons entre les nuages, l'écume argentée des horizons terrestres : le festin du monde.  Avec Guillaume Paturel, les yeux engloutissent « les géographies solennelles des limites humaines »*. Dans le puits de la toile, Paturel creuse la mémoire abstraite des couleurs de l'histoire : celle des fleurs mille fois rennaissantes puis celles des étoiles, évanescentes...  S'émerveiller du rouge surgissant d'une rivière insoupçonnée, sous-terre, sous-toile. Eclosion de l'événement pictural. L'artiste taille dans les feuilles d'un or noir le temple vacillant de nos villes migrantes : Série noire 01 , Paris with circles (2016)... Il transfigure les données architecturales en une pléiade de cellules matricielles : bancs de poissons secrètement rassemblés, noyaux d'une symphonie originelle, flocons épars et chorégraphiés glissant sur la robe des continents. 

 

Avec Solar (2015), Paturel pose les soubresauts d'un orphisme renouvelé. Souvenons-nous des mots de Frantisek Kupka : « Ma peinture, abstraite ? Pourquoi ? La peinture est concrète : couleur, formes, dynamiques. Ce qui compte, c'est l'invention. On doit inventer et puis construire. » Au début du XXème siècle, Apollinaire rapproche le cubisme solaire de Robert et Sonia Delaunay d'Orphée, son poème au « langage lumineux ». Depuis la caverne rayonniste de décomposition de la matière en faisceaux énergiques, les artistes tissent leur compréhension du monde. La peinture, dès lors, découpe, à la loupe, la quintessence du mouvement. Aujourd'hui, de nombreux peintres poursuivent  ces recherches, au regard de problématiques socio-culturelles, politiques et géographiques fortes. Au Whitney Museum of American Art, les collages de Mark Bradford en témoignent :  retenons Bread and Circuses réalisé en 2007. Bradford et Paturel partagent cette fascination pour les villes, leurs découpages, et l'archéologie.

 

Interpréter avec les mains du cœur, le soleil que nous peuplons. Force sera d'habiter la lumière en communiant avec la vague annonciatrice du geste créateur.

 

Une vie allègre, je la vois dans les corps mêmes

De la création alentour de moi fleurir, car

Je la compare sans erreur  à ces colombes seules

Parmi les tombes.

(…)

Voudrais-je être une comète ? Je le crois. Parce qu'elles ont

La rapidité de l'oiseau ; elles fleurissent de feu,

Et sont dans leur pureté pareilles à l'enfant.

(…)

Que quelqu'un voie dans le miroir, un homme,

Voie son image alors, comme peinte, elle ressemble à cet homme. L'image de l'homme a des yeux, mais

La lune, elle, de la lumière. Le roi Oedipe a un

Oeil en trop, peut-être. Ces douleurs, et

D'un homme tel, ont l'air indescriptibles,

Inexprimables, indicibles.**

 

Depuis ce troisième œil oedipien, l'artiste reproduit les anamorphoses de sa vision augmentée.

Et le tableau tient lieu d'une réparation. Les écailles d'un lotus disloqué pour seul navire.  Phalanstères enchantés aux ailes ruisselantes. Zeppelin sous-marin. Utopies de secours pour les peuples meurtris. Lorsque les océans se soulèvent et s'effondrent sur les empires voisins, l'artiste reprise le tissu urbain. Il rétablit les vestiges et fait jaillir sous le sable, par fragments intemporels, les possibles existences.  Comment rénover le paradis depuis son assourdissement ?

L'artiste s'y emploie et enfante des paysages aux multiples spires oniriques. Ses fables dynamiques essaiment des tourbillons fluides, des récifs impétueux, des cavités organiques. « Il faut racheter le monde par la beauté : beauté du geste, de l'innocence, du sacrifice, de l'idéal. » ***

N'était-ce pas aussi la source du projet d'Alberto Burri à Gibbelina, en Sicile ? Cependant que la ville est engloutie par un tremblement de terre, l'artiste explore dans l'épaisseur picturale le craquellement de la terre lors de monochromes à fortes factures jusqu'à intervenir sur les ruines des de la ville, en recouvrant d'un ciment blanc les palissades des rues originelles. Land art ou Terre de recueillement...  Lorsque architecture et peinture communiquent, se nourissent et se soutiennent, les œuvres qu'elles impulsent, soudainement, viennent restaurer le champs du visible.

 

Il est dans les peintures de Guillaume Paturel, une synthèse remarquable de mille écritures identifiables. Héritages. Il emprunte aux techniques chinoises anciennes, la science du Souffle qui caresse, d'un coup de griffe, les sols poreux de la toile.  Ses variations de gris invoquent la densité des pièces d'Anselm Kieffer, strates ployant sous la pesanteur du passé. A propos de l'art moderne et contemporain, le philosophe Lyotard notait : « les œuvres de peinture, de sculpture, d'architecture et de littérature ne valent rien comme réponses au nihilisme, elles valent tout comme questions posées au néant. » Souvent la partie inférieure des tableaux de Paturel laisse libre cours à des traits gorgés d'eau, une pluie drue qui s'épanche en lignes droites comme pour révéler la trame des actions projetées. Nous pouvons penser à Bomb island, à Black Curtain ou à Cobourg 3 +1 more, peintures de Peter Doig, datant des années 1990.

 

La peinture, comme la musique, a cette vertu ineffable : errer dans l'immensité, à l'infini. La substance de l'expression, ne tient-elle pas au pouvoir de créer un lieu ? Et depuis sa rive d'observation, le spectateur en active la vibration. En 2012, lors d'un entretien, Richard Serra confie ceci : « Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a dans l'art beaucoup d'insoutenable légèreté et de divertissement. C'est une légèreté qui ne t'enracine pas, et qui se contente de tout nettoyer sur son passage. » Une œuvre est une aventure, une respiration, une expérience innée.

 

Tradition de l'événement. Chaque intervention sur la surface inanimée, vierge de toute vie, appose un tonnerre éclatant qui s'amplifie par les leitmotivs du pinceau jusqu'à étreindre un sentiment d'unité effusive.  Le corps sensible de l'artiste donne naissance au corps senti du paysage. Pastorales contemporaines. Sculpter la toile au couteau, faire reparaître le revif du bois brut. Déplier l'arc de toutes les forces invisibles pour les partager enfin dans le sceau du tableau.

 

Pigments électriques dévoilés en clair-obscur dans leur plus franche nudité.  Avec la pièce « This is not pink », c'est la lithographie pour « A la gloire de l’image et art poétique..de Roger Caillois », réalisée en 1976 par Zao Woo KI et sa déclaration qui pressent le souvenir :  « Je voulais peindre ce qui ne se voit pas, le souffle, la vie, le vent, le mouvement, la vie des formes, l’éclosion des couleurs et leur Fusion ». Ainsi Paturel, réinvite la notion de poésie, de transfiguration, dans le fœtus pictural. Sons effilés, minérale musicalité, harmonie et dissonances entretiennent un florilège de tensions dramatiques.


 

« L'art, libéré de toute dépendance (de tout « réalisme », mais aussi et surtout de tout critère extérieur devant légitimer la forme), devient le cœur de l'humanité, un cœur qui battra plus haut et plus fort  que les mouvements des comètes sur leurs trajectoires. Mais la volonté, dans ce battement, n'a plus alors d'autre but que la liberté, c'est-à-dire l'absence de volonté. »****

En défiant l'inerte, la peinture de Paturel offre aux Fata Morgana de ses pensées, le contour et la consistance d'un mirage charnel flottant au sein duquel l'oeil peut élire refuge et se clore, le temps d'une rêverie constructiviste.  

 

Paris, le 15 mars 2016

Goënièvre Anaïs

 

** en bleu adorable... Hölderlin

*** Romain Gary

**** K. Malevitch cité et traduit par E. Martineau, Malevitch et la philosophie


 

Utopies urbaines sur toile de bois

 

De l'architecture au canevas pigmenté...

 

Entretien

 

« On peut qualifier "d'atelier spirituel" le domaine subjectif où se projettent les images de la vie intérieure, miroir magique d'une réalité recréée, peuplée de visions dont l'origine semble voilée d'un secret insondable. Le secret de ce monde intérieur, c'est l'énigme des processus psychiques, énigme qui souvent demeure irrésolue aussi bien pour le protagoniste - l'artiste - que pour son entourage. » Frantisek Kupka (1913)

 

Cher Guillaume, quelles rencontres ont orienté ton pas vers l'architecture ?

 

A vrai dire je n'ai jamais voulu être architecte. Je suis un peu venu étudier l'architecture par accident.  J'ai commencé par faire des études à l'Ecole des  Beaux Arts mais le choc du passage de l'Ecole jésuite aux beaux arts a été assez violent .

Je n'avais que 17 ans et j'imaginais les ateliers remplis d'artistes affairés à l'instar des ateliers des grands maîtres du 17ème siècle ! Hors, je me suis confronté aux lieux désertés dès le mercredi après-midi et à la présence, çà et là, de quelques oeuvres conceptuelles. J'étais un peu perdu.

L'Ecole des Beaux Arts jouxtait l'Ecole d'architecture. Je me suis rapidement lié d'amitié avec quelques étudiants architectes avant de me décider à choisir cette voie. A cette époque, c'est l'idée d'être scénographe de théâtre qui commençait à germer et suivre des études d'architecte me permettait d'entrer à l'Ecole de la rue blanche à Paris. J'étais ébloui par les travaux de Nicolas Sire et de Bob Wilson. Puis, je me suis rapidement passionné pour l'architecture et les villes sans jamais songer à construire. Ensuite, il y a eu le cinéma. Les réalisateurs qui filmaient la ville, comme Wim Wenders avec Alice dans les villes, me fascinaient. Wim Wenders qui a d'ailleurs influencé un architecte que j'ai longtemps admiré : Jean Nouvel. Donc j'ai commencé à réaliser un certain nombre de courts-métrages. Cela a duré dix ans. Dix ans pour me rendre compte que ce qui m'intéressait était exclusivement de filmer la ville. J'ai toujours été mauvais en scénario !  

 

La peinture, est avant tout un regard porté sur ce qui nous entoure, je suppose qu'elle a toujours été présente. Quelle fut ta première toile ? Ta première expérience picturale ?

 

Ma première expérience picturale était un long travelling, je tournais le premier plan de mon premier court-métrage. J'avais 20 ans. Avant cela, mes expériences liées au dessin et à la peinture remontent à mon enfance. A l'âge de 12 ans, j'ai pris des cours de dessin dans les combles d'un musée marseillais, et on pouvait librement se promener dans les couloirs- qui par ailleurs étaient désespérément vides- pour s'inspirer des peintres comme Watteau et Fragonard. Quelques années plus tard, j'avais alors 15 ans, mon père m'a demandé de produire des faux Watteau pour les offrir à ses amis. C'est durant cette période que j'ai pensé à l'Ecole des Beaux Arts. A vrai dire, j'ai beaucoup dessiné lorsque j'étais enfant.

Disons que ma première vrai pièce d'art remonte à il y a quelques années seulement, liée à la disparition de mon père. Un jour, il m'annonce qu'il n'avait plus que quelques mois à vivre, je lui réponds alors que j'allais justement exposer dans quelques mois et que ce serait bien qu'il puisse venir à NYC pour voir mes tableaux : le lendemain je me suis mis au travail et le processus s'est mis en route...  

 

Dans l'exposition par laquelle j'ai découvert ton travail, je relève le choix de grands formats. Je

suppose qu'il s'impose et te permet le développement de paysages denses...

    

J'aime beaucoup le terme de paysage parce qu au final même si j'ai l'impression de travailler sous forme de plans, certains de mes tableaux sont aperçus comme des paysages.

Oui les grands formats se sont d'emblée imposés, je voulais un rapport physique avec l'oeuvre, la fabrication des châssis fait aussi partie du processus créatif.

En réalité, le tableau commence, dans les entrepôts, quand je m'y rends pour choisir la taille des planches. Je suis déjà en train de penser au tableau. Les porter fait aussi partie du processus, comme la fatique d'ailleurs. Au début les dessins se faisaient par collage et j'ai perdu ce rapport à cause des ordinateurs et tout est devenu irréel, finalement.  

 

A propos de la technique, je vois un souffle impressioniste, avec des touches longues et le travail

au scalpel sur bois. Tu sculptes le bois dans sa profondeur pour donner différents reliefs.

 

J'ai eu une formation très classique dès mon plus jeune âge. J'ai toujours été en grande admiration devant les peintures impressionnistes. Au Moma, il y a une oeuvre qui me fascine, une fresque de plusieurs mètres :  les Nymphéas de Monet.

Vous découvrez les oeuvres d'Oscar Murillo que j'apprécie beaucoup puis soudain, vous descendez d'un étage et vous vous retrouvez face aux Nymphéas. Cent ans séparent ces œuvres et c'est Monet que je trouve plus puissant et radical, en y réfléchissant.

Je sculpte dans le bois pour retrouver des éléments du tableau qui sont enfouis, un peu à la manière d'un archéologue. Je creuse non pas pour le relief mais pour relever quelque chose au-dessous. La ville de NYC m'influence ainsi que les projets urbains sur lesquels j'ai travaillé. Je suis sidéré par la vitesse de renouvellement des constructions dans cette ville. Vous partez 2 mois et lorque vous revenez, vous ne reconnaissez plus votre quartier. Les projets se mêlent les uns aux autres : on a l'impression d'une superposition de constructions, d'un entassement.

Je suis fasciné par le début des projets, quand on creuse le sol. Pour moi, chaque chantier est un chantier d'archéologie.


 

Alternance entre espaces peints et espaces creusés. Peux-tu me parler de cela ?

 

Les espaces peints sont aussi des espaces creusés mais je ne creuse pas sur l'ensemble de la surface car j'aime que certains endroits restent enfouis. J'aime penser que derrière une couche se cache un autre souvenir. Mon travail se fait sur l'accumulation de plusieurs couches de tableau.

La première couche est souvent très vive, gaie puis après je recouvre et je dissimule presque entièrement ce premier tableau.

C'est donc aussi un travail sur le temps et la mémoire. La mémoire, enfouie, cache d'autres impressions qui viennent se superposer.

Le tableau révèle donc une chronologie, une multitude d'événements. En fait je me plais tout autant à ajouter des éléments qu'à les retirer. Puis, la peinture prend de plus en plus de place...

Il y certainement quelque chose de nostalgique en rapport à l'enfance. Sur le temps. Commencer une première couche riche en couleur pour ensuite la recouvrir d'autres couleurs souvent plus ternes avant d'essayer de retrouver cette joie originelle. Un regard sur le passé, un travail sur la mémoire.

 

Le milieu sous-marin, fait-il partie des sources essentielles de ton travail ?

 

Je n'ai jamais pensé au milieu sous-marin mais il est vrai que le mouvement peut y renvoyer. comme des courants organiques qui parcourraient le tableau. Au tout début les tableaux ressemblaient plutôt à un travail de cartographe : on pouvait lire les routes, les quartiers, les avenues principales, etc... Ils étaient plus structurés. Puis, j'ai voulu assouplir les lignes, les rendre plus libres.  

 

Ta palette de couleurs est large et heureuse. Comment se dessinent les atmosphères auxquelles tu donnes naissance dans chacune de tes toiles ?

 

C'est étrange car je n'ai pas l'impression que les tableaux soient tout à fait gais, je les trouve même assez sombres et tragiques!

Ils contiennet une énergie cependant : le combat des couleurs. Au début, j'applique des couleurs  qui sont souvent très vives et puis bien d'autres viennent s'y superposer.

J'utilise aussi beaucoup le gris qui vient faire taire les couleurs, comme un vide. Le gris, comme une zone neutre, comme un silence. A l'origine, il y a toujours un élan d'optimisme qui crée les mouvements généraux du tableau et ce,  même si ces mouvements seront recouverts. Ce sont les premières impulsions qui déterminent tout le pocessus.  

 

Y-a-t-il des peintres, ou des artistes dans d'autres domaines, dont le travail t'éblouit, te guide ?

 

Il y a des artistes que je vénère mais ils n'ont pas tous une influence sur mon travail.

J aime les artistes qui mettent en scène l'espace : les architectes ou les plasticiens. Je ne parle pas du street art, qui au passage m'ennuie profondément. Nous avons partout dans la ville, des expressions fortes et une fresque me paraît toujours très faible par rapport à son envirronnement. Je ferme la parenthèse.

Oui Richard Serra m'a toujours ébloui car il joue avec l'espace urbain et le met en scène.

J'aime autant ses sculptures que ses dessins recouverts de plomb. J'aime aussi Goya  et son univers sombre.  

Je suis attiré par les artistes qui peignent le noir, cela va de Caravage jusqu'aux dessins de Serra.  

Ce qui me fascine le plus se trouve dans l'art brut, l'art tribal africain : masques, danses funéraires...

Je suis assez peu attiré par les artistes conceptuels, exception faite Cyprien Gaillard par exemple,  qui déterre littéralement l'espace d'un territoire.

J'aime le travail de Le Corbusier : sa manière de canaliser la lumière et son rapport aux matériaux comme le béton... David Lynch, cinéaste de l'obscur, m'a aussi beaucoup fasciné : Lost High Way est l'un de mes films de chevet. Il nous entraîne à scruter les inconscients des personnages. Il creuse la surface du film et nous conduit dans des strates souterraines. Je vois dans ses films différents niveaux de narration, d'histoire. Comme dans mes tableaux, il y a divers niveaux de narration.

Je pense aussi à James Turrel. Kiepfer et Richter pour la richesse et la densité de la matière...

Et plus immédiatement, dans mon quotidien, c'est surtout le quartier que je parcours pour aller jusqu'au studio qui m'influence. Un véritable collage urbain, un mélange de petites maisons et de zones en chantier, une usine à béton jouxte mon studio. On y voit un cortège de matières premières qui contribue à l'expansion de la ville puis, à quelques blocs de là, des grues qui trient des montagnes de déchets et de métal. Gowanus... un quartier industriel en pleine transformation... Construction, déconstructions. On construit, on rase et on reconstruit, ceci nourrit mes tableaux. C'est le sujet essentiel.

Alors beaucoup d'artistes me fascinent mais je ne saurais établir un lien direct avec mon travail.

 

Comment une oeuvre t'apparaît, avant l'étape du travail sur la toile même ? Ou bien est-ce un processus instinctif avec des moments fulgurants et des temps de repos ?


 

Fulgurance et repos, c'est exactement ça.

La génèse d'un tableau est souvent pour moi un moment frustrant, qui demande des efforts.

Le processus créatif se fait à partir de plusieurs couches ou quand j'éprouve des difficultés.

Je suis bien quand la fin est loin, car l'aventure s'annonce longue. J'ai toujours peur que le tableau se termine trop vite ou plutôt que prévu.

J'aime bien repousser le plus possible le coup final. Il arrive même que je laisse un tableau que je pense achevé jusqu'à ce que j'y revienne dessus.

L'accumulation continue, en quelque sorte. Des temps de repos et des mouvements fulgurants rythment le processus créatif. Plus je superpose des couches plus le sentiment d'expiation grandit. Les fins des tableaux se font dans une danse frénétique : je saute de joie et bondis autour du tableau.

Les débuts restent beaucoup plus calmes et laborieux si j'ose dire, méticuleux.  


 

J'ai perçu tes événements peints comme une suite d'images, en mouvement, retranscrivant le passage des saisons naturelles de la lumière dans l'intérieur maritime. A la manière d'un film, que

l'on aurait tourné en plan-séquence : tes tableaux en seraient les photographies. Peux-tu me parler

du mouvement, de l'action inhérente à tes oeuvres ?


 

J'ai du mal à rapprocher cette image d'univers marin de mon travail car, honnêtement, je n'y pense pas. Même si mes derniers tableaux présentent un univers organique, je reste assez influencé par toutes ces années durant lesquelles j'ai étudié et dessiné des projets urbains.

La ville est en mouvement. Sa transformation ne cesse pas, elle demeure perpétuelle, éternelle... C'est cette notion que je veux retranscrire. C'est, au fond, l'idée d'une bataille, de mouvements contradictoires qui s'affrontent. Tout comme les frontières des pays qui subissent des pressions.Ce sont ces pressions que je tente de montrer.

J'ai travaillé sur la conception de nouveaux quartiers entiers à Dubai et j'y ai vu des urbanistes dessiner des avenues en plein désert. Ils crayonnaient sur des paturages millénaires, créaient des lacs artificiels pour y construire un pont. Les plans urbains se succèdent. Ce sont des idées, des histoires, très différentes qui s'accumulent pour créer un mouvement.

Les éléments de mes tableaux doivent rester mobiles, en circulation...  

 

 

Quels sont les titres de tes oeuvres ? Comment prennent-ils naissance ?

 

Je ne suis pas à l'aise pour donner les titres. Ce n'est pas un exercice qui me plaise.

Mes tableaux ont toujours plusieurs lectures et varient même selon les heures de la journée car des éléments brillants comme le métal changent la surface du tableau alors il m'est difficile de trouver un titre qui résume l'oeuvre, qui la finalise en quelque sorte, comme un mot de fin.

Je devrais plutôt procéder comme ce peintre français, Soulage, qui se refuse à donner des titres et opte pour la date du tableau en guise de titre. A suivre donc... Et puis donner un titre, c'est dire que le tableau est fini, c'est figer un process. Si je pouvais, je changerai le titre à chaque fois que je me trouve en face d'un tableau. Et puis un titre,  c'est un sens,  une piste indiquée à la personne qui regarde... La plupart du temps, mes titres concernent une étape de création comme «  blue wins » . Quand je le revois : d'autres titres me viennent à l'esprit car si l'époque le bleu était la solution pour résoudre le tableau, quelques mois plus tard je ne me souviens plus de cette évidence passée!

 

 

 

Tes oeuvres sont musicales, avec des espaces de silences suspendus et des contre-points symphoniques, des actions denses. Des compositeurs t'accompagnent-ils, consciemment ou inconsciemment ?

 

Tout est question de rythme. Ma façon de peindre est avant tout physique et instinctive.

Mon travail sur la surface est assez immédiat. La musique influence directement mes humeurs.  Je ne réfléchis pas quand je suis face au tableau. Si j'ai un doute, je m'arrête. Je cherche rarement.  La réflexion, à proprement parler, se fait seulement le matin, sur le chemin vers l'atelier.

La musique électronique, classique et contemporaine comme, par exemple, Arvo Part m'accompagnent.

J'aime passer d'une extrême à une autre, dans les différentes textures de rythmes. Il m'arrive d'être guidé par la musique, par des moments de joie intense proche de la transe mais cela n'advient qu'une fois par tableau.